La belle et le prince marocain - 3e partie

3^e partie

Saïd a maintenant six mois. Comme le prédestine son prénom, il est un bébé heureux. Son visage semble toujours sourire, qu’il dorme ou qu’il observe le monde qui l’entoure. Alors qu’il contemple son fils, Karim est nostalgique. Bien qu’il aime cet enfant plus que tout au monde, il serait prêt à tout abandonner pour retrouver la paix dans sa vie. Son bonheur avec Zara à la suite de la naissance de Saïd fut de courte durée. La jeune mère a maintenant deux occupations : prendre soin de son fils qu’elle adore et rendre la vie de son mari insupportable. Tout est sujet de conflit entre les époux. Une simple photo déplacée sur un meuble suffit à déclencher la colère de Zara. Karim fait tout ce qu’il peut. Pourtant, aucune journée passée en compagnie de sa femme ne se termine sans une prise de bec. La situation lui cause un stress immense et son corps lui signifie clairement qu’il en a assez : insomnie, muscles crispés, brûlements d’estomac. Plus les jours avancent, plus sa joie de vivre s’étiole. Ses seuls moments de bonheur sont ceux passés avec son fils. Même ce simple plaisir lui est maintenant moins accessible. En effet, Zara a conclu qu’elle avait besoin de se retrouver en compagnie des siens. Saïd et elle habitent donc trois jours par semaine chez ses parents. Karim a certes plus de temps pour lui, mais son épouse n’oublie jamais de l’appeler une quinzaine de fois par jour et d’agrémenter leurs conversations de reproches.

Lors de l’une de ses soirées de célibat forcé, Karim se remémore sa vie d’avant… en fait, il se rappelle ses échanges avec Sophie. Que cette femme l’a ensorcelé! Si seulement il le pouvait, il partirait sur le champ la rejoindre chez elle, à Montréal. Il abandonnerait ce semblant de femme et son enfant pour enfin vivre un véritable amour. La vie serait tellement différente et, surtout, facile avec Sophie. Elle est douce, compréhensive, ouverte d’esprit. Aucunement comparable au monstre qu’il a épousé! Pourtant, elle l’a informé à de nombreuses reprises à quel point la vie est difficile pour les immigrants au Canada, notamment pour les gens du Maghreb. Les formations ne sont pas reconnues et les gens sont souvent réduits à occuper des emplois peu gratifiants et peu rémunérateurs. Et pourtant! Il serait prêt à travailler dans un restaurant comme laveur de vaisselle en autant qu’il ait une vie paisible en dehors du travail. Toutefois, il a beau rêver, il ne peut partir ainsi. Il a besoin d’un visa de visiteur pour entrer au Canada. Les procédures sont coûteuses et le succès n’est pas garanti. Et pour l’immigration, cela peut prendre jusqu’à deux ans avant d’obtenir une réponse. Karim a beau tourner dans tous les sens le problème, il doit se rendre à l’évidence : Sophie avait raison. L’amour à distance est une chose impossible entre un citoyen du tiers monde et une femme d’un pays occidental. Il comprend maintenant pourquoi plusieurs hommes de son pays épousent des Canadiennes pour faciliter leur immigration. Mais jamais il n’oserait épouser Sophie pour cette raison. Il ne veut pas qu’elle ait de doutes sur ses intentions réelles envers elle. Cependant, il spécule en vain : pourquoi chercher une façon d’aller la rejoindre sans savoir ce qu’elle désire de son côté. Sophie et lui n’ont eu que de brefs échanges depuis la naissance de Saïd. Elle voulait le laisser à son bonheur familial. Si seulement elle savait qu’il pense à elle sans cesse!

Sophie est étendue dans son lit auprès d’un homme qu’elle connait à peine. Depuis sa rupture avec Mourad, elle collectionne les aventures d’un soir. Certains font le tour du monde via la cuisine, les œuvres littéraires ou théâtrales : Sophie découvre les cultures via le sexe. Ainsi, elle a pu infirmer la rumeur que les Noirs ont tous un engin phénoménal dans leur culotte. Elle a même eu le privilège de dépuceler un Asiatique de 28 ans. Privilège est plutôt un grand mot, l’acte n’ayant duré que trente secondes et le format réduit de la banane n’ayant suscité aucune sensation. Toutefois, Sophie n’a d’autres choix de constater que les Maghrébins l’attirent beaucoup. Deux fois sur trois, les hommes qu’elle choisit proviennent du nord de l’Afrique. Leur teint basané, leurs cheveux et leurs yeux foncés l’attirent incroyablement. Ces hommes ont aussi une manière particulière de mélanger séduction et machisme qui les rendent irrésistibles. Elle se sent tellement femme avec eux qui sont si virils! Mais peu importe l’origine ethnique de ses amants, ils ont tous un point en commun : dès que le plaisir est consommé, Sophie ne souhaite que s’en débarrasser. Elle déteste lorsqu’ils s’endorment comme le ronfleur qui squatte son lit en ce moment. D’habitude, lorsqu’ils vont à la salle de bain pour se nettoyer un peu, elle en profite pour refaire rapidement le lit et s’habiller pour leur signifier que le moment du départ est arrivé. Sauf que celui-ci s’est quasiment endormi sur elle aussitôt son orgasme atteint. Ni les chatouillements, ni les coups de coude n’arrivent à le réveiller. Alors qu’elle est à la cuisine en train de remplir un verre d’eau froide pour dégager l’intrus, Sophie se demande comment aurait été une nuit d’amour avec Karim. Elle se rappelle l’une des fois où ils ont fait du cybersexe. Elle avait revêtu un corset de satin et dentelle noir et s’était ensuite déshabillée langoureusement pour son homme devant la caméra. Il avait été fou de désir. Il s’est à son tour dévêtu et Sophie a pu voir son sexe dressé qui l’appelait d’aussi loin qu’il était. Karim était aussi beau nu qu’habillé. Et leurs échanges laissaient deviner que leurs ébats seraient à la fois tendres et passionnés. Sentir son odeur, ses mains sur son corps, ses baisers… Mais bon! À quoi cela sert-il de rêver à cet homme qui est maintenant un mari et un père heureux? Tous ces souvenirs la font souffrir puisqu’elle sait très bien qu’elle est la cause de son propre malheur. Ne pas être allée en vacances au Maroc pour rencontrer Karim est le seul regret dans la vie de Sophie.

24 décembre.

Sophie est seule à la maison, ayant choisi de se gâter pour le réveillon de Noël. Quelques soins beauté, un délicieux souper, de vieux films de Noël sont au menu pour cette fête annuelle. Alors qu’elle est étendue, les yeux fermés, à attendre que son masque hydratant fasse son travail, Sophie réfléchit à la vie qu’elle mène depuis un certain temps. Trop de sorties, trop d’alcool et surtout, trop d’hommes dans son lit. Avec le recul, la situation lui apparait clairement : elle s’étourdit et se détruit pour oublier sa solitude et son chagrin. Toutefois, le résultat démontre nettement que tout ca ne fonctionne pas. Voilà des mois qu’elle n’a pas parlé à Karim et il occupe ses pensées quotidiennement. Elle prend alors la résolution de prendre soin d’elle-même en cessant son tourbillon et en affrontant ses problèmes. La nouvelle année sera positive. Alors qu’elle poursuit ses soins du visage dans la salle de bain, le téléphone sonne. Sophie choisit de ne pas répondre. Cette soirée sera consacrée à l’individu qu’elle aime le plus : elle-même et personne ne viendra la perturber.

« Vous avez bien rejoint la boite vocale de Sophie. Laissez-moi un message. BIP » Karim raccroche, se disant que Sophie devait fêter Noël avec sa famille. Si leur vie avait été différente, il lui aurait souhaité un « Joyeux Noël mon amour », lui aurait offert un cadeau magnifique, sûrement un bijou… elle adore ceux qui sont originaux et colorés. Karim se demande à quoi ressemble la fête de Noël dans une famille catholique. Sophie lui a déjà raconté que sa mère leur prépare toujours des plats traditionnels riches en calories et en gras, mais tellement réconfortants. Bien sûr, il n’aurait pas pu manger la moitié d’entre eux puisqu’ils sont à base de porc, mais il aimerait bien humer l’odeur de ces mets et voir la famille autour de la table mangeant et discutant avec entrain. Il souhaiterait aussi connaitre la neige. Parait-il que les enfants et les grands s’amusent à glisser, à se lancer des boules de neige et à se bousculer en rigolant. Sa réalité est loin de tout ça. Plutôt que de célébrer avec son enfant et sa femme, Karim est seul dans sa maison. La veille, Zara et lui se sont disputés durement. Pour une rare fois, Karim a été l’initiateur de la querelle : il soupçonnait sa femme de voir un autre homme. Certes, leur couple ne fonctionnait pas de manière idéale. Toutefois, il est irrespectueux et inconcevable de trahir les vœux du mariage. Après l’altercation, les époux n’ont eu d’autres choix que de constater l’échec de leur union. Zara a donc quitté le nid conjugal avec Saïd et a accepté d’entamer les procédures de divorce. Karim est maintenant un homme libre. La solitude l’effraie. Un homme n’est pas fait pour vivre seul, d’autant plus qu’il a l’impression de régresser. Mais Sophie, dans toute sa sagesse, lui disait souvent : « dans la vie, il faut parfois reculer pour mieux avancer. » Karim s’accroche donc à cette pensée afin de rester optimiste et ne pas paniquer face à ce coup du destin.